Après la publication de son bestseller, le Fakir s’est embourgeoisé. Il ne sort plus de chez lui, préférant les émissions de télévision à la vraie vie. Tout fier de son second manuscrit, il attend des nouvelles de son éditeur qui finissent par arriver, un matin. Son roman de 14 pages est nul ! Après le choc de ce téléphone, Ajatashatru se rend compte que son éditeura raison et qu’il est temps pour lui de terminer la mission qu’il s’était fixée en venant en Europe, soit d’acheter un lit à clou, un « Kisifrøtsipik ».

Mauvaise nouvelle pour notre fakir qui apprend sur le site de Ikea, que :  « L’article que vous recherchez n’est plus fabriqué » ! Il se met en tête que le seul moyen pour lui est d’aller en Suède à la recherche du patron de Ikea et de lui demander qu’il fabrique un lit à clou exprès pour lui.

Il laisse un mot à Marie et s’en va.

Extrait :

Comme un ouragan qui passait sur lui, Gérard, ou François, avait tout emporté*. Balayant sur son passage, en quelques secondes, la vie, les convictions et les prétentions littéraires d’Ajatashatru. Se rendant compte qu’il tenait encore le téléphone contre son oreille alors que son éditeur avait déjà raccroché, il le fourra dans sa poche d’un geste rendu maladroit par sa nervosité.
Embourgeoisé, lui ? Il n’en revenait pas. Mais le plus surprenant était que François, ou Gérard, n’avait pas aimé son nouveau roman. Il comprit que ce qui lui avait paru formidable, à lui, ne présentait aucun intérêt pour un Européen. Il se souvint de la fois où il était resté une heure devant les portes automatiques du magasin suédois alors qu’autour de lui personne n’y prêtait plus la moindre attention.
– Quel déshonneur ! s’exclama-t-il face à l’humiliation qu’il venait de subir. Doux Vishnou, quelle honte !
S’il avait été japonais, il se serait planté un katana dans le ventre, là, tout de suite, à la manière d’un samouraï déshonoré. Mais il n’était pas japonais, ne possédait aucun katana, et son ancienne profession l’avait habitué à se planter toutes sortes d’armes blanches dans l’estomac sans grand effet. C’était bien dommage.
Faute de pouvoir se tuer, il se rendit à la cuisine se servir un grand verre d’eau fraîche afin de se remettre de ses émotions. Et lorsqu’il ouvrit le réfrigérateur, il comprit ce que son éditeur avait voulu lui dire. Des yaourts, des canettes de Coca-Cola normal, zéro, sans caféine, des oeufs, du lait, du beurre, avec ou sans sel, de la confiture, avec ou sans sucre, du chocolat, avec ou sans chocolat, du champagne, avec ou sans bulles, du saumon fumé et du foie gras paradaient devant lui. Avec cela, il aurait pu alimenter tous les habitants de son village, Kishanyogoor, pendant une année. Cela lui rappelait les provisions que l’on avait emmagasinées en 1942 dans le Taj Mahal pour subvenir aux besoins des hommes et des femmes qui s’y étaient cachés alors qu’au-dessus d’eux tournoyaient les avions de la Luftwaffe. Le gouvernement indien avait érigé un échafaudage tout autour du monument pour induire les pilotes allemands en erreur. Il aurait été ironique (mais pratique) de mourir dans ce qui était déjà un mausolée.
Emmagasiner une quantité indécente de produits dans son frigo dont on jetterait la moitié dès la date de péremption venue, était-ce là tout ce qu’il avait appris du mode de vie des Européens ? Son maître fakir, qui parlait comme un manuel de développement personnel à coups de maximes piquées sur les calendriers des postes indiennes, lui avait un jour dit que le bonheur, c’était de continuer à désirer ce que l’on possédait déjà. Mais lui s’était évertué à toujours vouloir davantage.
Il referma aussitôt la porte du réfrigérateur pour ne plus voir cela. Fermer les yeux sur les problèmes, cela rendait les choses plus supportables. Les Occidentaux s’intéressaient à ce qui se passait dans le reste du monde mais avaient l’habitude de regarder ailleurs lorsque quelqu’un avait l’indécence de mourir de faim sur le trottoir d’en face en brandissant sous leur nez un petit bout de carton sur lequel on pouvait lire « Pour mangé, s’il vous plé ». En France, on pardonnait tout. Sauf les fautes d’orthographe.
Et l’Indien prit conscience qu’il était devenu sur riche et si européen qu’il avait troqué Shiva, son dieu, contre Chivas, le whisky. Il s’était bien intégré ou, comme le disait son éditeur, il avait tué un peu celui qu’il était vraiment. Il était devenu une pomme de terre un peu trop proprette et standard.
Ajatashatru regarda autour de lui à la recherche d’un miroir. Comme chaque fois qu’il doutait de lui, il fallait qu’il lise sur son visage ce que les autres y lisaient. Qu’il lise dans le miroir le mot « embourgeoisé » écrit à l’encre indélébile sur son front, tel un tatouage.
Car les miroirs reflétaient la vérité.
Toujours.

* Que Stéphanie de Monaco veuille bien me pardonner.


Genre : Roman

Nombre de pages : 285

Année : 2018

Édition : Le Dilettante

ISBN : 978-2-84263-946-4


Mon avis :

Lors de ma chronique du tome 1 (oui comme le « fakir » est devenu une trilogie, on peut parler en tome), donc dans ma chronique de L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, je vous disais à quel point j’avais été emballée par ma lecture.

J’ai eu beaucoup de plaisir à retrouver les mêmes sensations dans ce second roman « fakir ». J’ai ri aux aventures rocambolesques qui arrivaient à nouveau à Ajatashatru, mais j’ai eu aussi pitié de lui en découvrant son enfance. J’aime la lecture des romans de Romain Puértolas, où l’on passe du rire aux pleures tout en se posant des questions puisqu’il nous amène, avec finesse, toujours sur des sujets « de fond ».

Je suppose que la fin du fakir 2 nous donne quelques indications sur le tome 3. J’ai hâte de retrouver Ajatashatru dans une prochaine histoire de Romain Puértolas.

LES 3 REGLES D’OR DU FAKIR

TU N’USURPERAS PAS
LE NOM DE TA VACHE (SACREE)

TU NE VOLERAS PAS
EN LOW COST

TU NE CONVOITERAS PAS
L’ARMOIR IKEA DE TON VOISIN


Merci à Romain Puértolas et aux éditions Le Dilettante pour l’envoi de « Les Nøuvelles Aventures du fäkir au påys d’Ikea » en Service Presse !


La librairie francophone :

L’émission de radio « La librairie francophone » du 28 avril 2018 a eu lieu au Salon du livre de Genève avec les invitées : Pierre Crevoisier et Sylvie Cohen pour « Marins à lʹencre » chez Slatkine Editions, rencontre entre Marc Lévy et Catherine Cusset autour de New York et Romain Puértolas pour « Les Nøuvelles Aventures du fäkir au påys d’Ikea » aux éditions Le Dilettante.

Ecoutez l’émission :


Le film – L’Extraordinaire voyage du Fakir :

Adaptation du roman « L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une amoire ikea ».

Sortie en salle prévue le 30 mai 2018.