Ce roman est partagé entre deux histoires distinctes.

Au fil d’une saison, nous côtoyons un homme, sur son alpage, passionné par son métier, mais meurtri par la vie et une adolescente, déambulant dans un centre commercial et qui rêve que sa vie sera différente de celle de sa mère.

Est-ce qu’une saison permettra à cet homme de retrouver une certaine sérénité ? Est-ce que quelques mois suffiront à cette adolescente pour faire les bons choix de son avenir ?

Extrait 1

Quand il a fini, il sort de l’étable, se campe solidement sur ses jambes, frotte une allumette, tire une longue bouffée de son cigare où s’immisce la fraicheur. Là-bas, sur le Chiesso, le soleil fait comme une brûlure qui s’étire et, au centre, il distingue une torche lumineuse, qui est le crucifix qu’on y a dressé. Il enfonce ses mains dans les poches et laisse la fumée flotter entre ses yeux et la croix. « Ce que ça caille, ce matin » et un courant d’air, venu de la vallée derrière lui, le mord jusqu’aux os. Il aime ces instants, même si le froid veut les gâcher. Il a quitté le village un mois auparavant, abandonnant les frimas, le clocher, le bistrot, sa mansarde, pour aller chez lui, entre les pics et les rochers où, s’il crie, l’écho n’atteint que les choucas, si les vents ne le dispersent pas avant. Il aspire la froideur que parfume son Rössli, doit plisser les yeux parce qu’enfin les premiers rayons dégringolent de derrière la crête. C’est ainsi qu’il communie, à chaque aube, sauf quand les neiges le repoussent en bas, où rien d’autre ne l’apaise ni ne le réchauffe que l’alcool de chez Antoinette, le troquet où il attend que le bonhomme hiver crève, où il attend de fleurir les bêtes impatientes, de retourner où il a laissé sa foi et son souffle.

Extrait 2

Comme Kate, la petite rouquine dont l’incandescence a favorisé l’amitié, sa réputation a fait le tour du collège. Elle se sait observée, mais peu à l’école, car ceux de son âge la préfèrent quand elle porte sa mini-jupe, ses talons qui étirent ses gambettes et ses collants, ses bustiers qu’elle évase pour y engloutir les envies. Elle devine parfois des professeurs s’attarder sur son passage. Elle aime se faire caresser par les rêves bridés de leurs mains – même par les vieux. Mais, dans son veston armorié de la St Catherine’s School, elle trépigne à l’idée d’afficher sa mue, tout à l’heure, devant les garçons disposés à se bagarrer pour lui chercher une WKD Vodka en fraude ou de se promener avec ses copines au centre commercial, le long des couloirs lumineux, et d’y laisser une trainée de désir mêlé de parfum. Un long soupir soulève la première page de son test qui plane jusqu’au sol.
« Annie! » Le professeur a levé la tête, agacé, et elle sent son effort pour paraître intransigeante. « Ouais? » Elle a répliqué sans se redresser, sa nuque touchant presque le dossier de sa chaise, ses jolies jambes étendues sous la table et, profitant d’une hésitation de celui qui veut la brimer, elle répète sur un ton provocant « ouais? » Elle savoure l’ambiguïté des sentiments qu’elle a animés, l’embarras qu’elle pense dû à sa séduction plus qu’à la lassitude – mais Remington répète : « On dit « Oui Monsieur »! Je suis ton prof, ne l’oublie pas! Fais ton test et arrête de déranger tes camarades. » Les autres rigolent tout bas, elle tourne la tête, expire bruyamment, lâche son stylo avec nonchalance et, entre ses lèvres fines, chuchote un « va te faire foutre » que l’homme ne peut que deviner. Comme un soldat, après un quart de tour quasi parfait, d’un geste ample il colle la craie au tableau, y gribouille le temps restant, quinze minutes. Il ponctue sèchement. Puis jette un oeil, guettant approbation ou réconfort, au crucifix à côté de la porte.


Genre : Roman

Nombre de pages : 164

Année : 2016

Édition : L’Âge d’Homme

ISBN : 978-2-8251-4614-9


Mon avis :

Le titre « Saison des ruines » ne laisse place à aucun espoir, et c’est le cas page après page. Bertrand Schmid nous dépeint avec une plume profonde, un monde impitoyable où l’espérance nait dans le rêve d’un meilleur et meurt dans la réalité d’un destin déjà tracé.

Si je n’ai pas aimé cette noirceur qui m’a laissée sur ma faim lorsque ma lecture s’est terminée (j’aurais souhaité avoir une saison de plus pour, peut-être, avoir une lueur de soleil), l’écriture de Bertrand Schmid est fluide et celle-ci se lit facilement, j’ai lu ce roman d’une traite.

Une rentrée littéraire sombre et un auteur, Bertrand Schmid, à découvrir.