Interview de Abigail Seran auteure de
« Une maison jaune » aux éditions Plaisir de Lire
Bouquiner : Bonjour Abigail, pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Abigail Seran : Je suis une juriste anglophile dont les matières préférées à l’Université furent l’histoire du droit et la philosophie du droit. Valaisanne d’origine et vaudoise d’adoption, je suis passée par Fribourg pour mes études et Genève pour le travail. J’ai rencontré mon mari français en Angleterre et je suis maman d’un adolescent. Je publie en 2015 mon deuxième roman aux éditions Plaisir de Lire et des chroniques illustrées aux éditions Favre.
B : Comment et pourquoi en êtes-vous arrivé à l’écriture ?
A. S. : J’ai toujours eu envie d’écrire. J’avais d’ailleurs beaucoup hésité à faire des études de lettres et, à la grande surprise de mes proches, j’ai finalement opté pour le droit en ayant toujours en tête qu’un jour je reviendrai aux mots. Il a fallu quelques années pour avoir suffisamment de matières et de bagages et surtout pour m’autoriser à franchir le pas et commencer à rédiger un premier roman. Avant cela, j’avais écrit de petites newsletters pour une activité accessoire que je pratiquais. Les retours positifs avaient donné de bons signes. Mais il aura fallu le soixantième anniversaire de ma mère et de belles réactions à la lecture du texte qui lui était dédié pour que le déclic se fasse.
B : Quelles sont vos habitudes d’écriture ? Est-ce que vous écrivez à la maison, dans un endroit précis, ou lors de vos déplacements ? Avez-vous besoin d’être dans une « bulle » lorsque vous écrivez ?
A.S. : Elles varient en fonction de ce que j’écris. Pour Marine et Lila, la rédaction s’est principalement faite entre 4 et 7h du matin, chez moi, à la table du salon, quand la maisonnée dormait encore. Pour Une maison jaune, j’ai beaucoup écrit le samedi en fin d’après-midi lovée dans un fauteuil, sous une couverture, au coin du feu. Quant aux Chroniques d’une maman ordinaire, elles ont été rédigées lors de moments volés, çà et là. Pour écrire, il me faut avant tout pouvoir m’isoler mentalement, et pour un roman, retrouver mes personnages, m’en aller avec eux.
Je n’ai donc pas d’habitudes particulières, le mieux étant d’avoir du calme, du confort, être bien installée, ne pas avoir froid, ni chaud, pour pouvoir s’oublier au profit de l’histoire. J’ai parfois écrit dans un café, dans un train. Le plus difficile est d’arriver à saisir le moment où l’inspiration est là. La vie quotidienne empiète allègrement sur ces instants. Et comme ils sont fugaces, c’est souvent une lutte pour se les accorder au moment où ils se présentent.
B : Est-ce que vous commencez l’écriture de vos histoires par la fin ? Sinon, comment savez-vous où votre livre doit s’arrêter ?
A. S. : Je connais le début et la fin. J’ai parfois en tête une ou deux étapes. Le jeu consiste à partir de ce point-là et arriver au but en passant par les cases que je me suis imposées pour faire tenir l’intrigue. Après, les événements, les personnages vous font parfois prendre des chemins de traverse et c’est là aussi le plaisir d’écriture. Mais je n’oublie pas le point de chute. Les textes que j’ai commencés sans en connaître clairement la fin se sont rapidement essoufflés. Impossible d’avancer sans savoir où je voulais aller. Le livre s’arrête donc quand j’ai atteint la destination prévue quand il s’agit d’un roman ou la chute pour les chroniques.
B : Si vous deviez présenter votre deuxième roman en trois mots, lesquels utiliseriez-vous ?
A. S. : vingtième siècle, trois jeunes filles, une maison.
B : Dans ce roman, vous nous emmenez au cœur de la vie de trois jeunes femmes, prêtes à passer à l’âge adulte, avec les aléas de leur époque. Comment vous est venue cette inspiration ?
A. S. :J’avais très envie de traiter de cette période de l’adolescence. Ce moment de tous les possibles, mais également de toutes les incertitudes. C’est aussi les premières décisions d’adulte, souvent une vision de la vie assez tranchée. Cependant, la réalité vient fréquemment compromettre les belles convictions. Période de transition par excellence, elle porte en elle-même de nombreux enjeux que l’on peut aborder en tant qu’auteure, encore plus quand on la traite sur trois périodes aussi distinctes : on peut ainsi en comparer les évolutions.
B : Vous alternez dans votre roman, les trois époques. Le lecteur passe donc des années 1920 aux années 1950, pour se retrouver ensuite dans les années 90. N’avez-vous pas eu peur, en l’écrivant, de perdre le lecteur (ce qui n’a pas été mon cas, je vous rassure) ? N’avez-vous pas, à certains moments, perdu le fil lors de votre écriture ?
A. S. : Je suis heureuse que cela n’ait pas été votre cas, car, c’était une crainte, et à la veille de la sortie du livre, c’est encore une crainte majeure. J’espère que les lecteurs s’accrocheront lors des premières pages pour prendre ce rythme d’alternance. Je pense que rapidement on s’y retrouve, mais au début cela peut être un peu déroutant. Afin de faciliter la lecture, j’ai d’abord mis des dates afin que le lecteur se repère. Ensuite, j’ai essayé de soulever des thématiques redondantes dans chacune des périodes pour créer des liens. De plus, la temporalité est linéaire au niveau des saisons. Si nous sommes en hiver en 1925, nous le serons aussi dans les années 50 et 90. Je ne me suis jamais perdue car j’ai toujours écrit les trois périodes en parallèle. Cela m’a par contre donné quelques sueurs froides pour arriver à ce que le maillage se tisse correctement et surtout se résolve comme je le souhaitais et au bon moment. Ce fut une belle victoire d’y parvenir.
B : Comment avez-vous construit les personnages de Léonie, Pia et Charlotte ? Est-ce qu’ils se sont imposés rapidement/facilement ?
A. S. : Elles se sont imposées avant même la fin de l’écriture de Marine et Lila. Ce sont même elles qui m’ont permis de terminer le premier roman. Elles commençaient à prendre de la place dans ma tête et je ne voulais pas aborder le deuxième sans avoir terminé le premier. Les personnages sont des adolescentes de leur époque. J’ai eu le privilège de pouvoir interroger des femmes (et quelques hommes aussi) ayant vécus dans ces années-là, y compris et, ce fut une aubaine, dans les années 20. Je me suis aussi documentée. Sur les tenues, sur l’industrie. Et pour ce qui est des années 90, j’étais une jeune adulte, donc les souvenirs n’étaient pas si lointains. Je crois que les caractères des héroïnes sont aussi ancrés dans leurs conditions, une fille de notable, une émigrée italienne. Leur place sociale, et donc leurs comportements, sont aussi fortement liés à cette composante. La vie et les rencontres se chargent ensuite de modifier ces données et les font évoluer.
B : Quel a été le chemin vers la publication de votre premier roman aux éditions Plaisir de Lire ?
A. S. : Comme tout auteur, quand on a fini la rédaction du manuscrit, on le retravaille et on tente l’aventure de la publication en l’envoyant à quelques maisons d’édition choisies en fonction de ce que l’on a écrit. J’avais décidé de ne pas envoyer plus de dix manuscrits. J’ai eu la chance d’avoir quelques commentaires et deux réponses positives. J’avais très envie de travailler avec Plaisir de lire, pour sa structure associative et parce que d’illustres auteurs y ont été publiés. Et ce furent de belles rencontres tant avec sa Présidente Isabelle Cardis Isely qu’avec toute l’équipe qui y travaille.
B : Quel est le genre de littérature que vous lisez ? Etes-vous plutôt « lecture papier » ou « lecture électronique » ? Pourquoi ?
A. S. : Je lis un peu de tout, romans, biographies, documentaires, autofictions, j’essaie de ne pas être sectaire. Je suis et reste très papier. Mon mari a une liseuse que je lui emprunte de temps à autre, mais inéluctablement, je reviens à l’encre et au crissement des pages. J’aime ce contact, j’aime le fait que le livre vive, vieillisse à force d’être manipulé. J’ai d’ailleurs aussi encore un agenda papier. Comme dans un livre, on peut y coller des post-its, retrouver des notes, des billets de bus, des tickets de caisse ou de parking, cela retrace un historique. Le dernier livre lu en vacances, je l’ai laissé à la réception de l’hôtel en partant. J’adore l’idée qu’il est peut-être posé sur une plage ou sur une table ailleurs dans le monde. Et puis, pour dédicacer, le papier, c’est quand même plus facile…
B : Je vous laisse le mot de la fin, qu’auriez-vous envie d’ajouter ?
A. S. : Merci Stella de vous être intéressée à ce livre, pour vos questions et pour ce riche blog que j’apprécie beaucoup. Et bien entendu, j’espère que les lecteurs de Bouquiner.ch auront du plaisir à lire Une maison jaune et à découvrir les chroniques.
Je tiens à remercier chaleureusement Abigail d’avoir accepté de répondre à mes questions !
Une maison jaune de Abigail Seran
Après la séparation de ses parents, Charlotte emménage avec sa mère dans une maison de maître qui devra être détruite prochainement. Elle découvre dans une armoire des partitions de musique et à la buanderie quelques mots, cachés et griffonnés par une écriture d’un autre temps.
Avec l’aide de son ami Thibault, elle mènera l’enquête sur cette maison particulière. Qui a habité ici ? Quelle est l’histoire de ces occupants du passé ? Lire la chronique ici !
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