Interview de Annik Mahaim auteure de
« Pas de souci ! » aux éditions Plaisir de Lire

Photographe © 2014, AdS, M.F. Schorro

Photographe © 2014, AdS, M.F. Schorro

Bouquiner : Bonjour Annik, pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Annik Mahaim : J’ai raté beaucoup de carrières, dans ma vie. A sept ans, je voulais devenir danseuse étoile, éventuellement acrobate. Je me voyais débuter en « petit rat de l’Opéra » et enchaîner rapidement avec le Lac des cygnes. J’ambitionne également de devenir chanteuse et pianiste de jazz, et de faire de la recherche en astrophysique, par exemple : ce sera pour mes prochaines vies. Finalement, j’ai trouvé de bonnes solutions dans cette vie là. Ecrire me permet de vivre la vie de nombreux personnages. Depuis la publication de mon premier roman aux éditions de l’Aire en 1991, je n’ai pas arrêté.

B : Comment et pourquoi en êtes-vous arrivé à l’écriture ?

A. M. : L’envie de répondre : « J’écris depuis toujours », mais ce n’est pas sérieux, honnêtement, je n’écrivais pas dans le ventre de ma maman (heureusement pour elle !) Mais quand même : à onze ans, j’écrivais des micronouvelles furieusement romantiques et des poèmes panthéistes. La poésie m’a longtemps accompagnée, au début des années 1980, je composais des textes de chanson et de café-théâtre que j’interprétais sur scène dans le groupe Notamment et d’autres formations. Une autre de mes passions est l’histoire, à la même période, j’ai mené des recherches historiques sur la condition des femmes. Cela a donné Retards de règles – attitudes devant le contrôle des naissances et l’avortement en Suisse du début du siècle aux années vingt (1983, Editions d’En Bas), que j’ai écrit avec Ursula Gaillard.
En 1982-83, j’ai vécu à Paris pour suivre l’école de l’acteur-créateur animée par Alain Knapp : improvisation, mise en scène, construction de personnages, écriture de scénarios… une année riche en apprentissages. Ensuite j’ai travaillé comme journaliste dans plusieurs médias, en particulier à la Radio suisse romande. Ça fait donc pas mal de vies, au fond, mais depuis longtemps déjà, c’est la fiction, le roman et la nouvelle, qui est mon terrain préféré.

B : Quelles sont vos habitudes d’écriture ? Est-ce que vous écrivez à la maison, dans un endroit précis, ou lors de vos déplacements ? Avez-vous besoin d’être dans une « bulle » lorsque vous écrivez ?

A. M. : Autrefois j’aimais bien écrire au bistrot, aujourd’hui je préfère le calme, chez moi ou dans une chambre en voyage. J’adore écrire à l’étranger. J’ai quand même toujours un petit carnet noir sur moi, pour le cas où j’aurais une idée dans un train, au restaurant : vite la noter pour ne pas la perdre, les idées, c’est volatil, capricieux (en tout cas les miennes). Quand j’écris, je veux dire quand je suis plongée dans un manuscrit, les nécessités de la vie matérielle me persécutent, je ne vois pas l’heure passer, je considère que le frigo doit se remplir tout seul, les lessives s’effectuer par enchantement, les payements s’envoler de leur propre chef jusqu’à destination. Au fait, vous ne connaissez pas une équipe de petits lutins qui pourraient s’occuper de tout ça dans ces phases-là ?

B : Vous avez publié chez Plaisir de Lire, Ce que racontent les cannes à sucre, qui est un roman et maintenant votre recueil de nouvelles Pas de souci ! Entre ces deux genres littéraires, est-ce qu’il y en a un plus facile à écrire ? Lequel préférez-vous ?

A. M. : J’écris des nouvelles par pure paresse, toujours après un long roman qui m’a pris des années, dans l’illusion qu’elles vont me donner moins de travail. Et bien sûr, je me trompe. En fait, j’adore les deux. Ce qui me plaît sans doute, c’est de changer de genre, d’exigence, de sujet aussi d’ailleurs, d’explorer des zones différentes.

B : Est-ce que vous commencez l’écriture de vos histoires par la fin ? Sinon, comment savez-vous où vos nouvelles doivent s’arrêter ?

A. M. : Ah non ! si je connaissais la fin, je n’écrirais pas ! Ce serait horriblement ennuyeux ! J’écris justement comme je lis : pour découvrir le parcours et l’arrivée. A un moment donné, je sens que l’histoire se trouve dans les blocs de départ, que ça va faire un 400 mètres haies ou un marathon… Parfois il s’agit d’une idée que je traîne depuis longtemps, c’est ce que j’appelle « l’élan initial », sans lequel rien ne surgit. Je cultive ces idées de début comme des plantules précieuses et fragiles, je les arrose, je leur parle, je les engraisse soigneusement… Une partie d’entre elles meurt. D’autres se renforcent et s’imposent. Pour revenir à la question de la fin, à un moment donné, je vois apparaître la « chute », un peu comme lorsqu’à la fin d’une course de montagne, on aperçoit le clocher d’un village. Et là ça me pose un nouveau défi, il faut trouver moyen de terminer en beauté.

B : Si vous deviez présenter votre recueil de nouvelles en trois mots, lesquels utiliseriez-vous ?

A. M. : Ouh là là !

B : Dans vos nouvelles, vous abordez plusieurs sujets, comme le monde professionnel, les relations, la surconsommation. Comment vous viennent vos inspirations ? Pourquoi avoir choisi de les traiter dans des nouvelles plutôt que dans un roman ?

A. M. : C’est affreux, je ne sais pas. J’écris intuitivement, à partir d’émotions, d’inspirations qui me traversent. Ça ne se passe pas du tout dans le genre je me lève et je me dis « Ah, ce matin je décide d’écrire sur le monde professionnel et la forme la plus adaptée, ce sera la nouvelle ». Par contre, j’ai l’idée d’une situation en séminaire d’entreprise, ça devient une sorte de jeu, je m’amuse à inventer sa langue de bois et les gens autour de la table, c’est comme ça que ça démarre. Ce n’est pas rationnel du tout, comment j’écris. A la base de ces nouvelles-là, il y a de la colère, certainement. Elle provient de l’observation du monde autour de moi. Mais la forme et les sujets se sont dévoilés au fil de l’écriture. Après, il y a le métier, le retravail, je réécris beaucoup mes textes. Je me demande si un récit à la première personne ou au passé ne serait pas plus incisif, je réfléchis sur l’architecture de la narration, je fais des essais, je remanie, je supprime des textes ou des passages qui me paraissent ratés, je reprends, j’allège, etc. Ça, c’est le travail d’écriture conscient.

B : Comment construisez-vous vos personnages ? Est-ce qu’ils s’imposent à vous rapidement/facilement ?

A. M. : Ca dépend. Pour les nouvelles de Pas de souci ! je ne peux que renvoyer à ma réponse précédente. Mais il s’agissait d’atmosphères et de comportements contemporains, dans lesquels je baignais comme beaucoup de monde. Actuellement, je suis en train de concevoir le personnage central d’un roman qui se déroulera à une époque que je n’ai pas vécue et dans un lieu que je connais mal (parce que l’un et l’autre me fascinent, bien sûr). Là, je réunis des matériaux, je lis, je me balade dans les lieux en question, je visionne des films : mon personnage, son biotope, ce qu’il aura pu vivre se précisent peu à peu. Pendant des mois, j’accumule, je n’écris pas une ligne. C’est ce que j’avais fait pour « Ce que racontent les cannes à sucre », dont une bonne partie se déroule à l’île Maurice au début du 19e siècle.

B : Comment s’est passé votre parcours jusqu’à votre première publication aux éditions Plaisir de Lire ? Avez-vous eu un choix à faire entre plusieurs maisons d’édition ?

A. M. : Une amie écrivaine m’avait dit combien elle était contente de ses relations avec Plaisir de lire, donc j’ai tenté le coup et je leur ai envoyé le manuscrit de Ce que racontent les cannes à sucre, paru en 2011. Cela s’est si bien passé que j’ai recommencé avec Pas de souci, sans proposer le manuscrit à d’autres éditeurs. J’avais auparavant publié à l’Aire, ce que je vais d’ailleurs bientôt refaire avec un texte de nature autobiographique, c’est intéressant de faire des expériences chez différents éditeurs, il y a des façons de faire variées et l’on apprend chez les uns et les autres. En plus des relations professionnelles, de la qualité de la confection du livre, de sa diffusion et de sa promotion, il y a aussi les rapports affectifs, l’amitié, le sentiment de faire partie d’une équipe. Et j’ajoute : on attend d’une maison d’édition un contrat, des comptes corrects et qu’elle paie les droits d’auteur.e.s. C’est l’un des chevaux de bataille ô combien légitimes de l’AdS, l’association d’écrivain.e.s suisses dont je fais partie…

B : Quel est le genre de littérature que vous lisez ? Etes-vous plutôt « lecture papier » ou « lecture électronique » ? Pourquoi ?

A. M. : Papier, papier ! Je n’ai aucune raison, vivant proche des librairies, de me mettre à la tablette. Et j’aime aller feuilleter dans les rayons, avant d’acheter. Je lis beaucoup, notamment ce qui sort en Romandie (même si je n’arrive hélas pas à lire tout le monde), aussi des écrivain.e.s de tous pays. Je n’ai jamais la patience d’attendre la sortie en poche, alors la note est parfois salée à la caisse. Je suis souvent attirée par les sujets que je suis moi-même en train d’explorer. Par exemple ces dernières années, j’ai été emballée par des romans centrés sur le monde professionnel comme Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal, basée sur l’incroyable chantier que fut celui du Golden Gate, qu’elle a transposé de nos jours, ou Peste & choléra de Patrick Deville, une biographie romancée du chercheur morgien Alexandre Yersin, qui a découvert le bacille de la peste. J’ai été très intéressée par Les Heures souterraines, de Delphine de Vigan, qui raconte une histoire de mobbing. Je relis cycliquement le grand maître Kafka et j’entame actuellement Terre noire d’usine de Janine Massard.

B : Je vous laisse le mot de la fin, qu’auriez-vous envie d’ajouter ?

A. M. : Merci pour l’interview !


Je tiens à remercier chaleureusement Annik d’avoir accepté de répondre à mes questions !


Pas de souci_couv

Dans ce recueil, Annik Mahain plonge ses personnages dans diverses situations, avec peut-être une questions récurrente : Quelle est la place de l’Homme dans la société actuelle ?

A travers ses histoires, elles nous emportent dans le monde du travail, où la reconnaissance de l’humain n’existe plus et où seul le mot profit résonne encore.

Comment réagir quand la vie nous pousse à oublier qui nous sommes pour devenir ce que la société souhaite ? Notre réalité a-t-elle encore une place dans une société régie par le paraître, la croissance, la surconsommation, la solitude ? C’est à travers sept nouvelles que l’auteure nous pousse à la réflexion. Lire la chronique !