« Je suis née à sept mois. Pas pu attendre. Ma mère m’a expulsée distraitement, avec détachement, comme on sort les poubelles. »

Hélène a toujours eu le sentiment de ne pas exister, de voir sa vie défiler sans la vivre. Elle a créé son petit cocon, sa petite vie bien rangée à elle, sans s’attacher aux autres afin de ne pas souffrir.

Camille fait irruption dans sa vie comme un cheveu sur la soupe. Petite fille tout juste installée dans l’immeuble avec son papa, Hélène va se rapprocher d’elle et de son papa.

Comment cette petite fille arrivera-t-elle à s’incruster dans le coeur d’Hélène ? Peut-on reprendre confiance en soi dans le regard de quelqu’un d’autre ?

Tiens, je ne suis pas seule dans le couloir. Flûte,
où sont mes clefs ?

– Bonjour
– Euh… bonjour.
– Tu t’appelles comment ?

Mince, impossible de m’échapper. Elle a quoi… huit ans peut-être ? Si je l’ignore, elle ne s’en souviendra probablement pas. Par contre, si elle raconte cette anecdote à ses parents, je vais dégrader encore un peu plus ma réputation dans l’immeuble.

– Hélène.

Elle attend.

– Et toi ? demandé-je de guerre lasse.
– Camille.
– Enchantée… Camille.
– T’es notre nouvelle voisine ?
– Euh… non, c’est toi qui es nouvelle, non ? Tu viens d’arriver avec tes parents.
– Non, juste avec mon papa.

C’est bien ma veine. Un homme seul. C’est pas compliqué, à Paris, il n’y a que trois types de mecs : soit ce sont des serial-baiseurs qui te donnent une note de performance, soit ils sont paumés — et à part pour parler antidépresseur, je ne me sens pas de les aborder —, soit ils arrivent avec le package complet, à savoir le divorce d’avec une femme chiante et la
marmaille en bonus.

– Et tu traînes toute seule dans le couloir comme ça ?
– Non, j’attends mon papa.
– Ah… Mais, il te laisse toute seule ? T’as pas une clef ?
– Non… je sais pas où il est. Je viens de rentrer de l’école. Et puis, mon papa il en a qu’une pour l’instant.
– T’as marché toute seule ?
– Ben oui, j’ai 8 ans et demi quand même !
– Ok, ok. Mais euh… tu peux pas rester là comme ça, non ?
– T’as des chips ?
– Oui. Tu veux venir ?

Quelle conne. C’est sorti tout seul.

– Papa, il m’a dit de pas parler aux inconnus.
– Oui, il n’a pas tort, mais je suis pas une inconnue et en plus tu as déjà commencé à me parler.
– T’aimes bien avoir raison toi dis-donc, me dit elle en me regardant bien droit dans les yeux.

Je baisse la tête. Elle manque pas d’air cette gamine. Je sens que ça va encore être la joie les
nouveaux voisins. Pourquoi est-ce que ça tombe toujours sur moi ?

– En plus, si je vais chez toi et que mon papa arrive, il va s’inquiéter parce qu’il saura pas où je suis.
– Oui, ben, il devrait déjà être inquiet d’être en retard, non ? Allez viens, je te fais un chocolat.
– J’aime pas le chocolat. Surtout avec des chips.
– Bon, tu veux une bière ?
– Papa, il dit que l’alcool c’est pour les poivrots.
– Je plaisantais.
– T’es pas super drôle.

Elle commence à me plaire elle.

– J’ai du Schweppes agrumes aussi.
– Ok. Tu peux mettre un mot sur la porte de papa pour qu’il sache où je suis.
– Deal.
– C’est quoi « deal » ?
– Ça veut dire « d’accord ».
– Et pourquoi tu dis pas « d’accord » alors ?
– Je sais pas, c’est comme ça.

Elle s’avance finalement vers moi et pénètre dans mon appartement.
Camille est donc le premier être humain, hormis ma petite personne, à franchir le seuil de ma porte depuis… depuis longtemps.

– Ben dis-donc, c’est pas très bien rangé chez toi.
– Tu veux t’en occuper ?
– Non… je peux regarder la télé ?
– Oui, si tu veux, je vais écrire le mot.

Et voilà comment une fillette de huit ans et six mois s’est retrouvée assise sur mon canapé à boire un Schweppes agrumes avec une paille (je sais recevoir) en foutant des miettes plein le canapé qui n’en demandait pas tant et en regardant une chaîne, jusqu’alors inexplorée par ma télécommande, à base de dessins animés abrutissants, de spots de pub réguliers et inquiétants quant à l’avenir de notre société, et de présentateurs sous amphétamines.
Malgré la sollicitation intense des cinq sens de Camille, cela ne semble pas l’empêcher de parler et de parler encore.
J’accueille le son de ma porte d’entrée comme une délivrance. Le messie s’appelle Benoît et il est papa d’un trou noir de 1m25 environ qui m’a pompé en une heure l’énergie que j’utilise habituellement pour une semaine complète.
Mon soupir de soulagement passe inaperçu, englouti qu’il est par le bruit de la porte qui claque.
Je ne suis pas encore près de socialiser de nouveau.


Genre : Roman

Nombre de pages : 280

Année : 2016

Édition : Olivier Morattel Editeur

ISBN : 978-2-940547-10-4


Mon avis :

Ce roman m’a déstabilisée ! Autant je l’ai adoré autant je l’ai détesté, encore aujourd’hui (en écrivant cette chronique), il m’est difficile de mettre de l’ordre dans mes émotions.

Les personnages sont touchants, j’ai souri, j’ai ri et puis j’ai haï la vie qui s’acharnait, encore, sur Hélène. Elle qui ne demandait qu’à vivre, tout simplement, discrètement, doit se battre pour quelqu’un d’autre, elle qui a toujours choisi la solitude comme amie. Ce livre, il m’a été difficile de le poser, et pourtant j’étais en plein déménagement !

Ce titre « La vitre » est-il le symbole qu’il faut briser les barrières que nous nous mettons afin d’avancer ?

Ce roman nous montre que la solitude est un fardeau qui nous enchaîne et que pour grandir, pour rester debout, nous avons besoin de l’autre (ou des autres).

Ce n’est pas le premier roman de Fabien Muller, mais c’est sa première parution dans une maison d’édition suisse, et je suis contente d’avoir pu découvrir sa plume. Un roman bouleversant que je vous conseille de lire !


Merci à Olivier Morattel Editeur, partenaire du blog, pour l’envoi de ce livre en Service Presse !