Interview de Isabelle Falconnier, présidente du Salon du livre et de la presse de Genève

Photo – Copyright Dominique Derisbourg

Bouquiner : Bonjour Isabelle, pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Isabelle Falconnier : Bonjour Stella, je suis une passionnée de lecture et de littérature qui a la chance d’avoir pu en faire son activité professionnelle! J’ai commencé par du journalisme culturel au magazine l’Hebdo, ce qui m’a permis de développer la scène de l’Hebdo au Salon du livre de Genève. Au sein de l’Hebdo, j’ai eu diverses fonctions de cheffe de rubriques culture et société et rédactrice en chef adjointe. En 2011, j’ai repris la présidence du Salon du livre de Genève. Depuis l’an dernier, je suis également déléguée à la politique de la ville de Lausanne. Cela me permet d’avoir un point de vue très riche et varié sur la scène si dynamique de l’édition et de la littérature romande et francophone. Les écrivains, les éditeurs, les libraires ou les bibliothécaires ont tous un grain de folie qu’il me plait de cultiver avec eux. Je suis née sur la Riviera vaudoise, j’habite à Lausanne, j’ai deux grands enfants et un mari aussi passionné de musique que je le suis de littérature!

B : Qu’est ce que c’est que le Salon du livre et de la presse de Genève ?

I. F. : Le Salon du livre et de la presse de Genève est tout d’abord une ville éphémère fantastique où des lecteurs de tous âges viennent rencontrer les auteurs qu’ils aiment et repartent avec des livres qui les rendront heureux le reste de l’année. C’est ensuite la plus importante manifestation littéraire de Suisse, et un des principaux salons du livre de la francophonie. Il rassemble chaque printemps quelque 800 auteurs et autant d’éditeurs et propose quelque 1500 animations en 5 jours. Il propose de la médiation dans le domaine du livre sous toutes ses formes: rencontres avec des auteurs, spectacles littéraires, ateliers, expositions, dédicaces, pays hôte d’honneur. Il fonctionne sur un modèle de salon/festival puisqu’une dizaine d’espaces thématiques dédié au polar, à la littérature suisse, à la jeunesse, à la philosophie, à la gastronomie, aux littératures de voyage, des pays arabes, d’Afrique, à la santé et la psychologie ont été créés ces dernières années et viennent compléter les espaces des exposants qui peuvent être des éditeurs, des diffuseurs, des associations d’éditeurs, des institutions ou d’autres organismes actifs dans le domaine du livre, de l’écrit et de l’éducation.

B : Pourquoi êtes-vous devenue présidente du Salon du Livre ?

I. F. : Je suis une lectrice passionnée qui n’aime rien davantage que de faire partager et transmettre sa passion. Je pense que la littérature et les livres ont des pouvoirs de transformation et de connaissance du monde qui font qu’il vaut la peine de s’engager pour elle. Je suis journaliste au newsmagazine L’Hebdo depuis 1998. J’ai été cheffe de différentes rubriques culture et société puis rédactrice en chef adjointe. A ce titre, je m’occupais de la scène de l’Hebdo au Salon du livre de Genève depuis plusieurs années, et donc connaissais bien le salon, lorsque Claude Membrez, directeur de Palexpo, propriétaire et organisateur du Salon du livre, m’a proposé d’en reprendre la présidence. J’étais ravie d’avoir l’opportunité d’élargir mes activités dans le domaine du livre et de travailler encore davantage avec les auteurs et les éditeurs dont je partage la passion pour la littérature.

B : Comment s’organise le Salon ? En tant que présidente, quel est votre rôle ? Combien de personnes œuvrent au bon fonctionnement du Salon avant, pendant et après la manifestation ?

I. F. : Mon rôle de présidente est à la fois d’assurer le contenu culturel du salon, soit de coordonner la programmation des différentes scènes et de lancer les expositions, les spectacles ou d’établir des liens avec des pays, des cantons ou des villes susceptibles d’être hôtes d’honneur. J’ai également un rôle de représentation du salon auprès de certaines institutions ou des médias. Adeline Beaux, directrice du salon, et moi-même travaillons main dans la main et en dialogue avec la Fondation pour l’écrit du salon du livre, qui porte le budget des projets culturels du Salon du livre. En équivalent temps plein à l’année, cela représente quelque 4 personnes pour la coordination. De nombreuses personnes travaillent également pour le salon (compta, atelier de dessin, agence de com’, commissaires d’exposition, programmateurs, libraires, etc) sans qu’il soit possible de quantifier leur travail.

B : Le Salon fête sa 30ème édition, pourquoi son fondateur, Pierre-Marcel Favre, a-t-il décidé de créer un salon littéraire à Genève ?

I. F. : C’est à Pierre-Marcel Favre qu’il faudrait évidemment poser cette question! Mais il a eu souvent l’occasion de raconter comment, actif dans le monde de l’édition et familier des salons du livre du monde entier, il s’est rendu compte que le dynamisme des milieux de l’édition et des médias en Suisse romande lui avait inspiré l’idée d’une grande manifestation populaire autour du livre, de l’écrit et de l’art. Genève est une capitale du monde francophone, une ville à la tradition littéraire et éditoriale forte. Un salon du livre y est une évidence!

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B : Depuis quelques années, le Salon est divisé en plusieurs univers thématiques. Comment ces univers ont-ils été choisis ?

I. F. : Ces places thématiques reflètent autant les domaines actuels forts de l’édition, les intérêts de lecteurs, que la marque que nous souhaitons imprimer au salon. Ces univers sont chacun dotés d’une scène de rencontres, d’une librairie tenue par un libraire qui fait un choix spécifiquement pour le salon, et d’un espace de restauration – le restaurant arabe, le bar à tisane de la place du Moi, le restaurant africain, le chalet suisse pour la place suisse, etc. Les places thématiques du Salon du livre sont pour l’édition 2016 au nombre de onze, puisque à la scène du crime, la scène suisse, la place du Moi, au Pavillon des cultures arabes, à la scène voyage, au salon du livre africain, à la cuisine des livres, l’Apostrophe, la scène BD et à l’ilot jeunesse s’ajoute cette année un espace young adult destiné aux 15-25 ans programmé et animé par la booktubeuse Margaud Liseuse. Nous avons également créé l’an dernier la Fabrique, un espace 100% interactif où l’on peut à son tour s’adonner à des activités avec les mots. La Fabrique prend cette année la forme d’un appartement de 7 pièces absolument magique!

B : Comment se fait la sélection des auteurs qui seront présents ? Qui organise les débats qui ont lieu sur les différentes scènes ?

I. F. : Je coordonne une équipe de programmation constituée de programmateurs internes et de programmateurs externes. Ainsi, nous confions le salon africain à Pascale Kramer, le pavillon des cultures arabes à Younès Ajarrai, la scène BD à Philippe Duvanel, la scène suisse à Max Lobe, la scène du Moi à Francine Cellier, la scène philo à Gabriel de Montmollin, la scène du crime à Anne-Sylvie Sprenger. La discussion est constante depuis l’automne : ils font des propositions d’auteurs et de thématiques, je leur en fais, les éditeurs leur en font. Nous repérons aussi les auteurs qui peuvent intervenir sur plusieurs scènes. Je m’occupe de la grande scène de l’Apostrophe avec l’équipe du salon. Le gros de la programmation se fait entre janvier et mars. Nous validons le tout à fin mars, afin d’avoir le temps de communiquer cette programmation très dense. Le salon invite quelque 500 auteurs. Ensuite, plusieurs centaines supplémentaires viennent via leur éditeur ou des scènes comme le Cercle, ou la jeunesse de l’Ilot jeunesse de Payot.

B : Si vous deviez présenter le Salon en trois mots, lesquels utiliseriez-vous ?

I. F. : Convivialité, émotions, idées.

B : En suivant l’évolution du Salon, on peut se rendre compte que ces dernières années, il a diminué en taille. Selon vous, à quoi cela est-il dû ?

I. F : Au contraire! Plans à l’appui, le salon augmente sa surface au sol d’année en année. Il est possible que, étant donné que le salon occupe désormais trois espaces distincts (les halles 1 et 2 de 15’000 m2 chacune et aussi le centre de congrès de Palexpo), ce morcellement de l’espace le fasse apparaître plus petit. Il est possible aussi que les anciens visiteurs du salon continuent de chercher les stands qui ne sont plus au salon (Fnac, Tribune, Temps) et ne remarquent pas les nouveaux (notre dizaine de scènes thématiques, les nouveaux médias, les nouvelles librairies…).

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B : Qu’en sera-t-il du Salon dans 10 ans ? Comment le voyez-vous ?

I. F. : Je le vois comme ayant encore développé des espaces thématiques dédiés par exemple à la poésie, aux revues, à la spiritualité, à la photographie, à la santé, à la littérature au cinéma, des domaines de l’édition qui sont en développement important. Je pense que les écrivains vont tenir un rôle important dans notre société ces prochaines décennies. Ils disent ce qu’on ne dit pas, ils montrent ce qui est caché. Et nous autres lecteurs auront de plus en plus envie de partager avec eux, de débattre, de les entendre.

B : Quel est le meilleur souvenir pour le Salon (ou pour vous) ?

I. F. : J’ai des souvenirs émus de moments incroyables comme le café mortel que Bernard Crettaz avait tenu il y a quelques années, ou la venue de Mathieu Ricard l’an dernier. J’aime le moment où les portes s’ouvrent le mercredi matin et que les visiteurs découvrent ce que nous avons mis des mois à préparer. J’aime voir les lecteurs suspendus aux lèvres d’une Nancy Huston, d’un Douglas Kennedy, d’un Joël Dicker ou d’une Tatiana de Rosnay qui racontent les coulisses de leur roman et la manière dont la littérature les habite. Et la soirée des auteurs que nous tenons désormais le samedi soir à la Villa Sarrasin est mémorable!

B : Pensez-vous que la lecture électronique a un impact sur l’affluence des lecteurs à des manifestations littéraires ?

I. F. : Non. Un roman lu sur une tablette reste un texte avec des personnages, une histoire et un auteur. Un lecteur ou une lectrice aura toujours envie de partager son émotion de lecture et si possible de rencontrer l’auteur. Plus on dématérialise d’un côté, plus de l’autre on a besoin de renouer des contacts physiques et matériels avec soit un lieu, soit des gens. Une manifestation littéraire offre le lieu de l’échange et les êtres humains pour le faire.

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B : Je tiens à vous remercier d’avoir accepté de répondre à mes questions et vous laisse le mot de la fin, qu’aimeriez-vous ajouter ?

I. F. : Je suis impatiente de vous accueillir au 30e Salon du livre de Genève entre le 27 avril et le 1er mai! L’exposition consacrée à Paulo Coelho sera fantastique (avec sa présence le 1er mai!) celles dédiées à Titeuf ado, Vincent Munier ou au dessin de presse de Vigousse passionnantes. Notre nouvel espace young adult promet une super ambiance. Et je suis heureuse de partager certains de mes auteurs chéris comme Jean-Christophe Grangé, Nancy Huston, Dany Laferrière, Frédéric Lenoir, Marie Laberge, Yann Queffélec, Erik Orsenna, Pascal Bruckner, Luc Ferry, Boualem Sansal, Joël Dicker, Michel Field, Sophie Fontanel, Sophie Kinsella ou Paule Constant. Grâce à eux, nous vivons mille vies en une. Quel cadeau!


Le Salon du livre et de la presse de Genève aura lieu du 27 avril au 1er mai 2016. Vous pouvez retrouver toutes les informations ici !